Lorsque saint Antoine, le père des moines, s’enfonce dans le désert d’Égypte, en 270, afin de n’y vivre que pour Dieu seul à la suite du Christ, il s’inspire pour l’emploi de son temps de deux recommandations de St Paul : « Priez sans cesse » (1Th 5,17) et « Que celui qui ne veut pas travailler, ne mange pas non plus » (2 Th 3,10). Cette insistance sur la nécessité du travail est profondément biblique.
La spiritualité du travail s’enracine dans le livre de la Genèse, qui nous montre Dieu associant l’homme, dès l’origine, à Son œuvre de création : « Remplissez la terre et soumettez-la. » (Gn 1,28).
Après le péché, le travail, qui était un honneur pour l’homme et un épanouissement, devient une nécessité accompagnée de souffrance, un lieu d’épreuve et de conversion : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front » (Gn 3, 19).
Jésus, en prenant sur lui la condition humaine, a assumé la noblesse et la pénibilité du travail, et il en a fait un lieu de rédemption.
A sa suite, le moine accueille le travail comme un moyen de coopération à l’œuvre de création et de rédemption. Il ne se dispense pas des tâches qui incombent à tout homme. Il sait qu’en offrant son activité et en supportant la peine du travail en union avec le Christ crucifié, il collabore à sa mesure au salut du monde.
La vie monastique est une vie d’ascèse et de prière contemplative, tout orientée vers la croissance de la charité. Ces trois aspects vont finaliser le travail du moine.
Le travail est la première forme de l’ascèse monastique et la plus fondamentale. Il permet au moine d’éviter l’oisiveté que saint Benoît appelle « l’ennemie de l’âme », car elle ouvre la porte à toutes les tentations. L’horaire de chaque jour est ainsi réglé, de sorte que les moines soient tranquillement mais continuellement occupés, soit par la prière, soit par la lecture et l’étude, soit par le travail manuel.
Le travail est aussi une école de recueillement. Il est comme une ancre qui stabilise l’esprit afin de l’ouvrir à l’intériorité. Exécuté dans le calme et le silence, il dispose l’âme à une prière diffuse que viennent vivifier la rumination de la Parole et de courtes invocations. Le travail, ainsi transfiguré et sanctifié par la prière, la simplifie à son tour et la vitalise.
Le travail est à la fois une exigence du vœu de pauvreté et un lieu de communion. A l’exemple du Christ qui n’est pas venu pour être servi mais pour servir, le moine doit gagner sa vie comme un pauvre afin d’assurer la subsistance matérielle de sa communauté et lui permettre l’aumône en toute solidarité.
Saint Benoît souligne avec force cette exigence : « Si les conditions locales ou la pauvreté exigent que les frères s’occupent des récoltes, ils ne s’en contristeront pas, car c’est alors qu’ils sont vraiment moines, s’ils vivent du travail de leurs mains. » (Règle, ch. 48).
Le travail est appelé obédience, car le moine ne choisit pas son travail, mais le reçoit de son supérieur dans l’obéissance. Saint Benoît veut qu’il l’exerce « en toute humilité, sans se prévaloir de son savoir-faire » (Règle, ch. 57), avec soin et sérieux, avec détachement par rapport à l’œuvre faite, et en silence. L’Abbé distribuera les obédiences avec discrétion, en mesurant toutes choses afin que les faibles ne se découragent pas et en veillant plus au salut des âmes qu’aux intérêts transitoires. Le cellérier, ou économe, se gardera de toute âpreté au gain en fixant les prix de vente, « afin qu’en toutes choses Dieu soit glorifié » (id.).
Par son enseignement riche et équilibré, saint Benoît a réhabilité le travail, que la société de son temps abandonnait aux esclaves. De nos jours, il nous indique qu’il n’est pas simplement un moyen de profit et de promotion sociale, mais un moyen d’humanisation et de sanctification.